Face à Face – Répine VS Répine

Face à Face - Répine VS Répine

   Comme il est difficile, même avec un bagage technique solide, de réaliser un portrait ressemblant ! C’est à dire de retranscrire les singularités physiques et psychologiques de notre modèle. Dans cette optique, nous pourrions être tentés de travailler d’après photo, mais au risque d’un rendu photo-réaliste, d’une représentation qui, inféodée à la photo, ne contient pas cette élémentaire exagération des traits, cette plus ou moins légère caricature, essentielle à la vivacité du portrait, ni ce flou caractéristique de la vision humaine qui ne peut accorder simultanément une attention égale à tous les détails. Le portrait obtenu sera ressemblant sûrement, mais raide, figé, pas vivant. Il témoignera de la personne, mais ne donnera pas l’impression troublante de sa présence. Cette trop grande attention au détail risque également de nous faire négliger le choix primordial d’une posture et d’une composition du portrait adéquate à la personnalité que nous souhaitons représenter. Par exemple: vous peignez votre petit fils entrain de vous raconter ce qu’il fera lorsqu’il sera grand. Pourquoi ne pas prendre dans ce  cas un format vertical, dimensionné pour le portrait en pied de l’homme qu’il sera, et l’assoir tout en bas ? Pensez au vide, au fond, au décors – ce qu’il dit de votre modèle.
Découragés d’avance par ces difficultés, nous pourrions également décider de réaliser ce portrait à la manière de, du moins de lui appliquer une esthétique picturale radicale qui en fait assurément une présence forte. Mais alors, le modèle devient un prétexte, tandis que le véritable sujet devient le portraitiste, ses goûts, sa vison du monde. C’est également manquer notre but.
Et si nous tâchions de n’être ni le faiseur impersonnel qui produit un portrait mort, ni l’artiste qui impose sa vision indifféremment de son modèle, qui le considère, en fin de compte, comme un objet. Si nous étions simplement des amis, parents, compagnons d’un moment, qui rendent visite à l’Autre, le pinceau à la main ?

Pour ce nouveau Face à face consacré au portrait, nous aimerions donc comparer Ilya Répine à Ilya Répine. En effet, ce portraitiste de renom auquel la vie, pour le paraphraser, ne laisse aucun répit et le force toujours à prendre le pinceau, possède une extraordinaire capacité à s’adapter à ses modèles pour rendre la singularité de leur présence, leur psychologie, leurs émotions.  Là où beaucoup de portraitistes, classiques comme modernes, ne font jamais, pour ainsi dire, que des autoportraits ou des discours sur la peinture, Répine, lui, met toute sa technique au service de son modèle. Ainsi les portraits de Répine peuvent avoir des aspects très diverses, en fonction de qui il peint. Il n’y a pas un Répine mais des Répine. À chaque tableau, on rencontre quelqu’un, on attend une parole, on hésite à s’approcher pour observer la peinture en détail, comme par égard pour la personne représentée. C’est le magnifique paradoxe de cette peinture : manifestement artefact, mais d’un artefact qui donne l’illusion troublante de la réalité. Une contradiction harmonieuse, une tension entre la matérialité du tableau et la réalité représentée en son sein, qu’elle trahit et sert en même temps. Observons quelques exemples.

À gauche, portrait de sa femme, titré Le repos, 143x94cm, 1882 / à droite, portrait du père de Répine, Ilya Yefimovich, 89x70cm, 1879.

Portrait de sa femme : geste caressant, ,doux, texture onctueuse, couleurs chaudes et chatoyantes, fond lumineux. On y sent la sensualité, la joie, la chaleur de l’amour que lui porte Répine.
Portrait du père : brouillé, presque cloqué, comme peint par dessus une ancienne peinture, et fort de contraste, seulement éclairé d’une chandelle. La peinture porte jusque dans sa forme le vécu pénible de cet homme, la fatigue de son coeur, la solitude et le repli de son esprit.

À gauche, portrait de la baronne Varvara Ivanovna, 197×78, 1889 / à gauche, portrait de la comtesse Mercy-Argenteau, 87x108cm, 1870

Chez la baronne : un format original, voire excentrique, avec une posture frontale et fière, le dessin sûr, la touche nette, le rouge et le noir qui tranchent qui se détachent fortement du fond clair, tout cela à l’image du caractère original et affirmé de la baronne.
Chez la comtesse : un format et une posture également inhabituels, une touche diffuse, vaporeuse, une demie pénombre, des couleurs doucereuses et éteintes, tout cela à l’image des pensées qui doivent traverser l’esprit de la comtesse mourante.

À gauche : Portrait du Tzar Nicolas II de Russie, 251x160cm, 1896 / à droite : portrait d’Alexander Kerensky, chef d’un gouvernement provisoire, 116x85cm, 1917

Le Tzar : dans une cadre spacieux, une architecture imposante montrant la puissance du Tzar. Mais Tzar seul, éloigné du trône, décentré, presque égaré, et petit, fragile, dans son propre palais. Un rai de lumière qui tombe (Dieu?), à côté du trône. Un aspect général vaporeux, diffus, qui n’incarne pas la solidité du pouvoir. Et ces mains croisées, cette tête légèrement penchée… On dirait l’obtention de diplôme d’un jeune bourgeois.
Alexandre Kerensky : quelques années plus tard, dans un coin de la bibliothèque de ce même palais, qui vacille, on dirait que le modèle vient de s’assoir, n’a qu’un instant. Le tableau est presque à l’état d’esquisse. À travers la composition bancale, le contraste lumineux exacerbé, les couleurs vives, les mille touches rapides, grossières et empâtées, ne dirait-on pas entendre la foule gronder au dehors, secouer le palais tout entier ? Le tableau porte dans sa facture toute l’instabilité du moment, ainsi que celle de la main du peintre vieillissant, dont il tire magistralement parti, un peu comme Monet le presque aveugle et ses Nymphéas, ou Turner, sa myopie, ses tempêtes et ses soleils éblouissants. Des peintres dont on dirait qu’ils emmènent leurs handicaps dans des situations où ils ne le sentent plus, ou celui-ci sert le geste pictural.

 

En haut, Réception par Alexandre III des syndics de volosts dans la cour du palais Petrovski, 292x490cm, 1886 / en bas, Manifestation du 17 octobre 1905, 184x322cm, 1907

La réception par le Tzar : une composition statique, officielle, symétrique, avec le Tzar en clef de voute des peuples de Russie, dont la moitié sert de figure repoussoir, c’est à dire de faire valoir à cette figure centrale. Cependant cette posture est en même temps fragile, car isolée, et de même pied avec tous, desquels il peine visiblement à se faire entendre. Et cette lumière éblouissante, zénithal, presque divine, mais qui jette du même coup une ombre un peu trop présente au pied du Tzar !  Les murs, au fond, nous renverraient presque l’écho de sa voix solitaire.

La manifestation : foule débridée, brossée, balayée, composée d’une multitude de petites touches démultipliant la foule et prolongeant son élan et son exaltation jusque dans le ciel, tout vibrant de clameur. Ici, pas de sol, pas de vide : tout est au comble, et à l’élévation, tout lévite, alors qu’avec le Tzar, tout est pesanteur, silence malaisant.

Dans un cas comme dans l’autre, le peintre cherche à traduire en image le son !

 

En fin de compte, regarder Répine peut nous aider notre pratique du portrait en plusieurs points :

  • Le choix d’un cadrage adapté au caractère du modèle et à la situation.
  • Le réalisme avec lequel il capture la vérité et la complexité des expressions et des émotions de ses sujets.
  • Son expressivité, ses couleurs vibrantes et textures riches qui donnent vie à ses portraits.
  • Son attention aux détails, aux caractéristiques individuelles de chaque sujet, telles que les rides, les tâches de rousseur et les cicatrices qui renforcent la présence de ses portraits, ainsi qu’aux expressions faciales et aux postures qui transmettent les émotions et les pensées de ses sujets.
  • La variété de ses sujets. Repin peint des portraits de personnalités importantes, telles que Tolstoï et Tchekhov, ainsi que de nombreux portraits de personnes ordinaires, en montrant un intérêt pour les gens de toutes les couches sociales.
  • Et surtout, un ensemble de techniques et d’approches picturales qui n’enferment pas dans un style particulier mais permettent au contraire de parcourir le monde dans sa pluralité et de s’ouvrir à la singularité de chacun de ses visages.
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